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Catherine Piault : “Il faut savoir sentir les tendances, s’intéresser aux cultures naissantes”

D.R.

L’ex-directrice artistique d’Island Records et fondatrice de la Troisième Note nous raconte comment l’économie de la musique a été bouleversée ces vingt dernières années.

Tu as commencé ta carrière dans l’industrie musicale et notamment dans la production en 1987, alors qu’elle était florissante de diversité et de nouveautés. Quel est ton parcours ?

Je suis rentrée dans une maison de disques plutôt par hasard. Je vivais à Londres depuis plusieurs années et un ami producteur de spectacles à Paris m’a parlé d’une maison de disques qui cherchait une personne maîtrisant bien l’anglais. Je m’y suis présentée et j’ai été engagée en tant qu’assistante au service marketing. J’avais 25 ans. Je me suis tout de suite beaucoup investie. A cette époque le CD faisait son apparition ; une manne financière énorme était disponible pour l’industrie musicale qui facilitait la réalisation de toutes les idées, initiatives et rendait le métier bien agréable.

Tu as amené le hip-hop et la musique électronique en France, comment cela s’est mis en place ?

Je n’ai pas amené le hip-hop en France toute seule mais j’y ai contribué. Je travaillais pour un label anglais ‘Island Records’ créé par Chris Blackwell (Bob Marley, U2, Grace Jones, Marianne Faithful etc.). Ce label était respecté mondialement pour la qualité de ses productions et son avant-garde. A la fin des années 1980, le label avait signé avec des artistes de rap américain des côtes Est et Ouest des États-Unis. J’ai donc eu l’occasion, très tôt, d’explorer cette nouvelle musique et toute la culture hip-hop qui l’entourait : graffiti, dance, musique… Naturellement, j’ai eu envie de faire découvrir ce mouvement en France en utilisant les moyens dont je disposais. J’ai fait venir des artistes pour des concerts, sorti des disques, des compilations, organisé des tournées de promotion en France etc. Je me suis investie dans le rap américain, mais pas du tout dans le rap français. Car le rap est une culture profondément américaine, avec des spécificités historiques précises qui ne sont pas transposables. La récupération du mouvement en français n’a jamais fait sens pour moi. J’ai trouvé que cela n’apportait pas que du positif. J’ai ensuite eu la chance de travailler pour le label belge  Crammed Discs, avec qui j’ai produit de nombreuses compilations jusqu’à l’émergence du mouvement drum’n’bass

Quel est le rôle d’un directeur artistique dans une maison de disques ?

En ce qui me concerne, je pense qu’il est important de savoir sentir les tendances dans la mesure où l’on s’intéresse aux cultures naissantes, mais ce n’est pas une généralité. Certains directeurs artistiques seront plus intéressés par l’aspect commercial à très court terme. Pour ma part, je me considère plutôt comme un passeur. Je m’intéresse aux courants artistiques et à ce que ces courants artistiques peuvent apporter d’utile à mon point de vue.

J’imagine qu’il faut pouvoir discerner un bon chanteur d’un moins bon, connaître les styles, évaluer le temps des enregistrements… la musique a toujours été une passion pour t’y repérer facilement ?

Discerner un bon chanteur d’un mauvais est tout à fait subjectif. Je pense qu’il faut déjà être habité par sa conviction profonde. Ensuite, l’économie de la musique a été totalement bouleversée ces vingt dernières années. Une économie underground, peu coûteuse mais à peu près rentable et qui permettait la propagation des productions créatives et influentes artistiquement par le biais des vinyles et des cassettes a été balayée par l’arrivée d’internet. Cela a contribué à un appauvrissement de la production pendant quelques années. La situation s’améliore un peu maintenant avec une meilleure maîtrise du vecteur internet.

Peut-on parler d’un âge d’or de l’évolution musicale des années 1990 ? Quels sont les courants qui ont vu le jour ?

Oui, les années 1990 ont vu l’émergence accrue du mouvement hip-hop et de la musique électronique (house, techno par exemple). Elle est liée à l’arrivée des outils de création musicale assistée par ordinateur, la dernière grande révolution.

Quels sont les artistes que tu as pu découvrir et produire ?

J’ai participé à la découverte d’artistes tels que NWA (groupe de hip-hop américain), Carl Craig (une figure majeure de la techno de Detroit), Salif Keita (chanteur malien), et de multiples autres artistes peu connus du grand public, mais importants dans les courants underground.

Tu as décidé d’arrêter la production en maison de disque et de te lancer dans ton propre projet, pourquoi ? Est-ce que l’évolution du secteur comporte le même intérêt pour toi qu’il y a 20 ans ?

Dans les années 1990/2000 les courants musicaux étaient tournés vers l’avenir, le progrès insufflé par l’arrivée des machines et la formidable démocratisation de l’accès à la création que les machines ont permis. Nous sommes, aujourd’hui, tournés vers un certain besoin de racines, de réassurance, de nostalgie qui n’est pas très propice à la création je trouve, ou bien dans l’exhibition d’un consumérisme criard. Je ne m’y retrouve pas. Dans les bandes-sons que je crée aujourd’hui, destinées à la sonorisation de lieux, j’utilise des sonorités organiques mêlées aux musiques enregistrées. Je crée des ambiances qui caressent la mémoire et les sens.  J’utilise le silence autant que le son pour créer l’espace et la respiration. Ma société se nomme La Troisième Note. Ce nom symbolise la présence essentielle, mais impalpable du silence dont le dosage est indispensable à la musicalité. On peut aussi appeler ça l’intention.

© La Troisième Note

Quels conseils donnerais-tu aux jeunes qui souhaitent lancer leur propre boîte de production musicale ?  

Difficile à dire. Je pense qu’il faut rester fidèle, du plus près possible, à soi-même, assumer sa singularité avec le charme de l’humilité plutôt que d’essayer de ressembler à tel ou tel autre, mais aussi fouiller les sonorités du monde, et sortir de sentiers battus. Être déterminé, patient et ne pas attendre de retour rapide sur investissement car la monétisation du temps passé est difficile. À côté de ça, les outils de communication actuels permettent de se faire connaître plus facilement et de façon peu coûteuse. C’est positif.

Un jeune talent que tu aimerais nous faire découvrir ?

Difficile. Ils sont nombreux. Quelques artistes auxquels je me suis attachée ces dernières années : Sufjan Stevens, Steve Lacy, Justus Raym…

Découvrez ici la playlist de Catherine du mois de mai.

Propos recueillis par Eleftheria Kasoura

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